Mot du Pr Lambert

Quel bonheur ce métier : Médecin Généraliste !

Certes, ce fut d’abord un parcours universitaire, tout orienté sur la pédagogie et l’enseignement.

1981 : début de mon activité de Médecin Généraliste,

1984 : Maître de Stage,

1986 : Chargé d’enseignement à la Faculté,

1999 : Maitre de Conférence Associé de Médecine Générale (1er nommé à Montpellier)

2005 : Professeur Associé de Médecine Générale,

2011 : Professeur des Universités de Médecine Générale,

Septembre 2022 : Professeur Émérite de Médecine Générale.

Mais toujours Médecin Généraliste !

Nous avons été nombreux à créer la Médecine Générale Universitaire. Nous avons eu quelques grandes dates dont nous sommes fiers. Milieu des années 1990 : création du résidanat et formation des internes de médecine générale en 2 ans et demi dont… 6 mois en ambulatoire. 2005 : les Épreuves Classantes Nationales, et la Médecine Générale est devenue une spécialité comme les autres avec une formation en trois ans. 2009 : nominations des premiers Professeurs d’Université de Médecine Générale. 2017 : La réforme qui permet enfin un parcours de formation des internes de Médecine Générale essentiellement en ambulatoire.

J’ai accumulé un nombre incalculable de compétences pour améliorer de jour en jour ma pratique. J’ai grandi avec des amis des toutes les Facultés de Médecine. J’ai vu grandir David, Agnès et François, vos futurs cadres, j’ai vieilli avec Gérard et Michel et tant d’autres. Tous pionniers de cette Médecine Générale entre la science et l’humain, dont le champ d’activités est si vaste qu’il permet à chacun d’entre nous de s’exprimer au mieux. 

Mais, ne nous y trompons pas, ce qui fait que je suis heureux de me lever le matin, c’est la rencontre avec mes patients, leurs mots et leurs maux, leurs histoires parfois drôles, parfois tristes, leurs troubles et leurs interrogations, leurs souffrances : je suis utile, je suis vivant. Ils m’apprennent.

Ce qui fait que je suis heureux de me lever le matin, c’est mon entourage qui m’accompagne et qui m’aime, mes activités autres que la médecine, mes équilibres.

Ce qui fait que je suis heureux de me lever le matin, c’est que je sais que je vais apprendre et apprendre, échanger avec des collègues, avoir cette attitude réflexive qui devient une habitude et une assurance, croiser des internes et des externes dans mon cabinet comme une stimulation motivante et bénéfique. 

Nous faisons un métier passionnant parce qu’il n’est jamais répétitif. Pas de routine. Vous ne verrez pas des angines, des pneumonies, des cancers, des fins de vie, des nourrissons et des séniors, des violences, des séparations et des dépressions toute la journée, mais vous verrez Julie, 14 ans, qui a une angine, Antoinette, 68 ans, qui a une pneumonie, Yvon, 72 ans, qui a un cancer du pancréas, Marie, 94 ans, qui s’éteint doucement entourée de Elsa et Tatiana, ses deux filles, Kevin, 4 mois (et qui fait pipi sur la balance…), Françoise, 88 ans, qui en a marre de ses genoux, Isabelle, 28 ans, avec ses coups et blessures, et tant d’autres, qui souvent, demandent de vos nouvelles, parce que ce soir, docteur, vous avez l’air un peu fatigué.

Et oui, tout n’est pas rose. Notre société évolue, les poids du numérique et de l’administratif augmentent et pas de régime hypocalorique en vue… Retenez seulement, futures consœurs et futurs confrères à qui je m’adresse essentiellement, les avantages du métier l’emportent largement sur les inconvénients, pour peu que vous suiviez ces dix principes :

  1. Le Médecin Généraliste est le soignant chez qui le lien entre la Science et l’Humain est puissant, incontournable et vivifiant,
  2. La communication avec le patient nécessite des compétences qui s’acquièrent puis s’améliorent avec les années ; remercions Carl Rogers[1], Elias Porter[2], Daniel Kahneman[3], Éric Berne[4], Michael Balint[5], Prochaska et Di Clemente[6], et tant d’autres de nous avoir guidé.
  3. La Médecine Générale est une pratique qui nécessite concentration, attention, intelligence, parfois don de soi et sacerdoce. C’est la raison pour laquelle il faut aussi faire autre chose dans la vie : s’occuper de son conjoint et de ses enfants, jouer d’un instrument de musique ou faire du sport, ou les deux, et prendre du temps pour cultiver son jardin ou ses dons, ou les deux.
  4. La Médecine Générale ne peut et ne doit pas s’exercer isolément : toute forme de regroupement et d’exercices conjoints protègent de l’épuisement professionnel.
  5. Le Médecin Généraliste exerce au sein d’une communauté. S’imprégner de l’environnement dans lequel on va travailler est une garantie d’efficacité.
  6. « Reconnaissant envers mes Maîtres, je rendrai à leurs enfants l’instruction que j’ai reçu de mes  pairs ».Quelle que soit l’interprétation du serment d’Hippocrate, stimulez votre pratique par la présence de futurs médecins. Ils nous aident à rester réflexifs.
  7. Ne nous laissons pas bercer par des illusions qui ne guérissent pas, des charlatans, des pseudo-scientifiques, des complots et des conspirations, des fausses études et autres mascarades statistiques. 
  8. La Médecine Générale est un métier de communication et d’échanges. Communiquer n’est pas réagir à l’emporte-pièce. Nous sommes des spécialistes de la reformulation, pas des retweets.
  9. L’entraide n’est pas un vain mot. La confraternité non plus. Nous devons être là aussi pour aider tout médecin qui demande de l’aide, qui est en souffrance, ou chez qui l’on soupçonne une souffrance.
  10. Peu importe que la tentation de donner des conseils soit irrésistible, puisque la faculté de les ignorer est universelle. Faites donc comme il vous plaira, mais… relisez-moi quand même !

Philippe LAMBERT

Pr Émérite de Médecine Générale – février 2023


[1] Carl Rogers : Le développement de la personne (On Becoming a Person), Dunod, 2005,

[2] Elias Porter : disciple de Carl Rogers. Nombreux travaux sur l’approche centrée sur la personne.

[3] Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie 2002. Système 1 Système 2, les deux vitesses de la pensée. Paris, Flammarion, coll. « Essais », 2012.

[4] Éric Berne : Que dites-vous après avoir dit bonjour ? Tchou, 1972, réédité en 2006.

[5] Michael Balint : Le médecin, son malade et la maladie, Payot, 2003

[6] James O. Prochaska et Carlo C. Di Clemente, The transtheoretical approach: crossing traditional boundaries of therapy, Homewood, IL: Dow Jones-Irwin, 1984.